INTERVIEW INÉDITE DE B. R. BRUSS / ROGER BLONDEL


Interview inédite réalisée en 1977 par Jacques Guiod & Alain Lacombe

Reproduite grâce à Charles Moreau et avec l'accord de Jacques Guiod
Toutes les notes sont de Richard D. Nolane





B. R. Bruss, sans doute vers la fin des années 1960

Heureusement conservée de longues années par Charles Moreau, cette interview de B. R. Bruss, l'un des auteurs les plus importants des collections "Anticipation" et "Angoisse" du Fleuve Noir, a été réalisée par Jacques Guiod et Alain Lacombe en 1977, peu de temps donc avant la mort de l'auteur. Jacques Guiod pense se souvenir qu'elle avait été réalisée pour une émission qu'animait Alain Lacombe, aujourd'hui décédé, sur Sud-Radio. Mais s'il n'est pas certain qu'elle ait été diffusée à l'époque, il est sûr qu'elle n'a jamais été publiée. On remarquera que, comme tout le monde à l'époque, les interviewers ne savaient pas que B. R. Bruss / Roger Blondel avait déjà publié avant la 2eme Guerre Mondiale. Et que l'auteur s'est bien gardé de les détromper...




Paris, 1931


Né en 1895, René Bonnefoy a publié en effet sous son nom plusieurs romans de littérature générale au cours de l'entre-deux-guerres. Sa participation comme Secrétaire Général à l'Information au gouvernement de Vichy lui vaut de très sérieux ennuis à la Libération. Abandonnant un temps la littérature générale, René Bonnefoy devient en 1946 B. R. Bruss pour la publication de son premier roman de SF, Et la planète sauta. Huit ans plus tard, il entâme une longue carrière au Fleuve Noir sous ce nom. Parallèlement, et cette fois sous le nom de Roger Blondel, il retourne avec talent en 1956 à la littérature générale chez Gallimard. B. R. Bruss et Roger Blondel poursuivront en parallèle leur oeuvre respective jusqu'en 1974, année de la parution du dernier "B. R. Bruss" au Fleuve Noir "Anticipation". René Bonnefoy était aussi peintre et sculpteur, Il est décédé en 1979.


Édition italienne de Et la planète sauta (1961)

Richard D. Nolane

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Ce n'est un secret pour personne, vous avez 82 ans et votre premier roman est sorti il y a une trentaine d'années. On peut donc parier d'une vocation tardive...
J'ai commencé à écrire l’âge de six ans, comme tout le monde, mais je ne suis effectivement auteur que depuis la fin de la guerre (1). J'ai commencé par de la science-fiction avec Et la planète sauta (2). Je dirigeais chez un éditeur plein de veine financière (puisqu'il avait édité Caroline chérie) une collection de science-fiction, ce qui était assez étonnant pour l'époque. Mais cette collection n'a vu qu'un seul titre, le mien, car l'éditeur a eu de gros problèmes d'argent et est mort peu de temps après (3) Il y avait pourtant un second roman en préparation et c'est ainsi que j'ai atterri, au plutôt aluni, au Fleuve Noir, Cela fait près de trente ans, et j'ai dû donner à cette maison une soixantaine de romans de science-fiction au d'angoisse. En moyenne, cela fait deux romans par an. Parfois, cela montait à trois au quatre mais le rythme retombait à un seul quand je faisais du Blondel.



Maléfices (coll. «Angoisse»), Allemagne 1973

Vous avez commencé en temps que B.R. Bruss mais vous aviez visiblement envie de faire autre chose…
On m'a souvent demandé pourquoi je m'appelais Blondel et Bruss. J'ai peut-être eu tort d'avoir deux noms, il n'est pas bon de se disperser. Il vaut mieux, quand on a publié un volume, continuer dans la même voie, en variant un peu à chaque fois. Grandir dans une ornière, ça ne donne pas toujours des fleurs magnifiques mais ça assure une sécurité. Blondel a donc débuté par Le mouton enragé (4). je l'ai porté chez un éditeur où je croyais avoir un ami qui pourrait m'aider et qui m'a en fait dit que c'était exécrable. Je l'ai alors porté chez Gallimard. Je connaissais un peu Paulhan, qui l'a pris et m'a adressé à l'occasion une lettre brève mais pleine de chaleur. Gallimard a d'ailleurs réédité ce livre à la sortie du film (5), ce qui lui a permis de faire une seconde carrière, pas formidable mais intéressante. Mon deuxième manuscrit ne plaisait pas à Gallimard et c'est Laffont qui l'a pris. Successivement, il y a eu L'archange (6), Bradfer et l'éternel (7) et Le boeuf (8). Je suis maintenant chez Lattes, avec quatre livres parus et un cinquième pour la rentrée (9).





Les fontaines pétrifiantes ?
C'est cela. Ce n'est peut-être pas mon livre le plus actuel mais c'est celui qui est le plus mêlé à la vie courante.. Il touche à des événements qui se rapportent un peu à Mai 68. C'est la critique et même la satire des méthodes de ressassement dans les universités et dans la vie de tous les jours. il m'est difficile d'en parler parce qu'il s'en va à droite et à gauche, avec toutefoisune certaine continuité. Les personnages centraux sont deux étudiants, un garçon et une fille, un professeur très pétrifié qui se dépétrifie sur le tard et un super-professeur qui est le grand magistrat de la pétrification et qui publie régulièrement des livres de maximes et d'aphorismes. Je cite sa production dans mon livre --une de ses citations longue d'une page et demie est tirée du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert et se moque gentiment du bourgeois. Et puis, il y a cette révolution qui échoue, d'ailleurs. Mais ce n'est pas Mai 68 sur Terre, c'est un univers nommé "la salle d'attente" où des abrutis croient à la venue d'un train qui les emènera dans un monde meilleur.

Il me semble que c'est bien plus politique que dans les autres romans... Bien que dans Les graffiti...
Les graffiti, c'est ce que j'ai fait de mieux avec Bradfer et l'éternel, si je peux juger par moi-même. C'est encore moins facilement résumable que les autres, c'est du fantastique métaphysique, ce qui n'est pas très alléchant pour le grand public. C'est l'histoire d'un type, Aldin, qui a des ennuis avec sa maîtresse au point de vouloir se suicider et qui va trouver un autre type qui lui propose un marché : il lui demande de faire une opération non pas vengeresse mais métaphysique et qui consiste à tuer le Prince. Aldin se met donc en quête du Prince. On en trouve des reflets et des échos partout, il y a des gens qui en parlent abondamment, on en parle aussi dans les livres sacrés, mais personne ne l'a vu. Des gens l'adorent, se prosternent devant son image , mais ne le rencontrent pas. Sa quête du Prince plonge Aldin dans des aventures nombreuses. À un moment donné, dans une ville (cela se passe aussi dans un endroit indéfini), il devient l'ordonateur de graffiti. C'est une ville dont les murs sont couverts d'inscriptions de toutes sortes, et il a pour mission, avec un personnel nombreux, de lire tous les matins tous les graffiti, de relever ceux qui sont un peu subversif , ceux qui sont intéressants, ceux qui apportent des lumières... Et il doit faire un rapport général remis aux autorités de la ville qui ira dormir dans les archives sans qu'on n'en tienne jamais compte. Ces graffiti, que je cite énormément dans mon bouquin, sont tirés de trois sources : les auteurs classiques, Montaigne, Pascal, Diderot et d'autres moins connus; les textes surréalistes et le dictionnaire des graffiti patronné par Breton; et enfin, ma propre imagination, sans que l'auteur véritable soit jamais cité en bas de page. Donc, le héros essaie de trouver au travers de ces graffiti des lumières susceptibles de le conduire au Prince. Il y a de fréquentes allusions mais aucune ne lui apporte la lumière, et il quitte la ville en compagnie de celui qui lui avait demandé de tuer le Prince et son gardien. Pour le héros, il ne s'agit pas de tuer des princes mais de tuer Le Prince. Des moyens usuels ne manqueraient pas s'il agissait par vengeance ou esprit de lucre. Mais il s'agit d'autre chose, et c'est là que pointe la métaphysique car le Prince, vous l'avez deviné, c'est Dieu. à la fin de leur aventures picaresques, ils arrivent, dans un décor boréal, devant un palais à moitié en ruines. Aldin est envoyé en reconnaissance, il se balade parmi ces ruines ténébreuses et découvre finalement sur un vaste fronton un dernier graffiti : "Le Prince est mort". Il n'aura donc pas à le tuer et il rejoint les autres pour rentrrer dans la vie ordinaire et faire un enfant à la fille qui les a accompagnés. C'est un personnage assez bizarre, qui joue un peu les magiciennes. Elle ne parle pas mais elle n'est pas muette. Sa maison ressemble à une villa de banlieue posée sur une île qui se déplace au lond des fleuves; elle y reçoit des gens qui lui posent des questions sur leur vie et elle répond en faisant elle aussi des graffiti. Elle écrit avec une vitesse foudroyante sur les murs d'une grande pièce réservée à cet usage et couverte de tableaux noirs...

Il est vrai qu'il est difficile de résumer un tel livre. C'est un peu comme pour Le boeuf...
Oui, et on pourrait croire que c'est également impossible à transposer. Eh bien, j'ai un ami, un jeune réalisateur qui s'appelle Stéphane Kurk, qui veut faire Le boeuf. Il serait sur le point d'aboutir pour la télévision, et c'est Michel Bouquet qui tiendrait le rôle du professeur. Ce projet l'intéresse beaucoup et il aurait même fixé des dates de tournage au début de l'an prochain. Ce garçon est venu me voir avec sous le bras le scénario et les dialogues. Cela m'a beaucoup plu. J'y ai trouvé beaucoup de sensibilité. Si on lui en donne les moyens, il pourra tirer quelque chose de très bien, Et puis là, j'ai pu voir le scénario avant que le film soit réalisé, ce qui n'est pas toujours le cas.




Le mouton enragé ?
C'est un film assez honnête dans l'ensemble, bien qu'il manque tout de même deux ou trois choses. Et puis, ce qui est dommage, c'est que le dialoguiste n'ait repris aucune phrase du roman. Le ton aurait été bien plus fidèle. Enfin, cela a été un gros succès un peu partout, je crois...

Le problème est différent pour l'adaptation de L'archange à la télévision ?
Oui, car c'est moi-même qui ai fait l'adaptation (10). Il y a eu aussi une adaptation radiophonique de Et la planète sauta. C'était Pierre Versins qui en avait pris la responsabilité.

Vous n'avez jamais songé à écrire des scénarios originaux ?
Si, j'en ai fait deux ou trois qui dorment dans mes tiroirs. Il y en a un qui pourrait faire un film commercial. Il y en a un autre qu'un cinéaste du nom d'Agabra aurait voulu tourner mais les producteurs n'en ont pas voulu, prétextant que c'était une histoire d'aveugles... Bien sûr il y a des aveugles. C'est une histoire à la Bunuel, cela pourrait se passer au Mexique ou en Espagne. C'est l'histoire d'une nonne qui n'est pas aveugle mais qui a un beau-frère aveugle et musicien. Et il conçoit cette idée diabolique d'employer des aveugles musiciens pour les faire chanter dans les rues ou les spectacles et recueillir la galette. Il les loge, les nourrit et les exploite. C'est déjà assez bunuelien. Et cela se termine de façon dramatique par la révolte des aveugles. La scène se passe dans un sous-sol où ils veulent tuer leur maître. Il est enfermé, acculé dans un coin. La pièce est éclairée. Ils le cherchent pour le tuer. Et c'est lui-même qui rallume pour montrer qu'il est bien là et qu'il accepte ce qu'ils désirent. J'ai étudié cette scène dans les moindres détails. Cela aurait pu durer un quart d'heure. Mais le scénario dort dans un tiroir. J'en avais parlé à Rossignol, l'agent de Gallimard, qui m'avait suggéré d'en faire un roman pour convaincre plus facilement les producteurs mais cela ne m'a pas tenté, bien que le roman ait pu être plus public que Les graffiti.

J'ai l'impression que les critiques ne vous suivent pas...
C'est vrai. Mes livres se vendent peu et les critiques sont peu nombreux à parler de moi. Ils préfèrent peut-être parler des académiciens pour entrer à L'Académie... Et puis, il y a ceux qui ne comprennent pas. En revanche, il m'est arrivé une histoire fort curieuse : un jour, j'ai reçu une lettre d'un garçon qui m'envoyait une nouvelle pour que je lui donne mon avis. C'était très curieux, c'est-à-dire très bon. Je lui ai répondu et il m'a alors parlé des Graffiti pendant une quinzaine de pages. Il en a fait une analyse très serrée, à tous les niveaux, pour me dire à la fin que ce livre aurait du sortir dans une collection philosophique.


Blondel, Bruss... Il y a encore bien d'autres personnages en vous, je crois...
J'ai fait un certain nombre de traductions de l'anglais, dont un livre de Menahem Beghin que j'avais rencontré pour l'occasion. Et puis il y a eu deux Van Vogt, La guerre contre le Rull et La maison éternelle qui traduit pour le Fleuve Noir s'est retrouvé chez Opta, en "Galaxie-bis". À une époque, j'ai écrit un certain nombre de livres alimentaires et des romans érotiques sous le pseudonyme de Georges Brass (10). L'un d'eux, L'amour ne se mange pas en salade (11), était assez littéraire. Il s'est bien vendu et pourrait même être réédité..

Et puis, il y a eu Don Juan...
Ce gros roman est paru aux éditions de la Pensée Moderne sous le pseudonyme de Marcel Castillan (12) et Lattes l'a repris il y a quatre ans sous un pseudonyme différent, celui de Roger Fairelle. C'est pour cet ouvrage que j'ai battu mon propre record : j'ai écrit 36 pages à la machine la même journée. en commençant tôt le matin et en finissant tard le soir. Don Juan a été traduit en espagnol (13) et en allemand (14) . C'est un roman de cape et d'épée, dans la grande tradition populaire. Mais j'ai tout de même eu la surprise un jour d'être invité par un professeur en Sorbonne à faire une conférence sur mon livre Cela se passait à l'amphi Descartes et il y avait plus de 400 étudiants. Cela faisait partie d'un cours général sur le mythe de Don Juan....

Et à part Les fontaines pétrifiantes, vous avez d'autres projets ?
Rien, absolument rien. Je suis malade depuis un an et il m'est impossible d'écrire. Et puis quand je n'écris pas, je m'emmerde ! (15)






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NOTES


(1) Pieu mensonge de l'auteur qui semble vouloir faire oublier les 5 livres publiés sous son vrai nom de René Bonnefoy entre 1928 et 1932...
(2) Ed. Le Portulan, 1946. Réédit. en 1971 chez Robert Laffont ("Ailleurs & Demain Classiques") et en 1979 au Livre de Poche.
(3) La collection à laquelle fait ici allusion René Bonnefoy est "Temps Futurs" chez Jean Froissard où il publia en 1953 son deuxième roman de SF, Apparition des Surhommes avant d'entrer en 1954 au Fleuve Noir "Anticipation" avec SOS Soucoupes (#33).
(4) Gallimard, 1956 et 1974.
(5) Film de Michel Deville (1973) sur un scénario de Christopher Frank, avec Jean-Louis Trintignant dans le rôle principal ainsi que Romy Schneider, Jean-Pierre Cassel et Jane Birkin.
(6) Robert Laffont, 1963.
(7) Robert Laffont, 1964, Lattes, 1979.
(8) Robert Laffont, 1966.
(9) Sous les marques J.C. Lattes/Edition Spéciale (La grande parlerie, 1973 et Un endroit nommé la vie, 1973) puis J. C. Lattes ( Oh ! Oh!, 1974, Les graffiti, 1975 et Les fontaines pétrifiantes, 1978). Le lien avec Jean-Claude Lattes ne faiblira jamais jusqu'à la mort de René Bonnefoy en 1979. Certaines éditions de chez Lattes ont pour couverture des peintures de René Bonnefoy.
(10) Réalisé par Olivier Ricard en 1967.

(11) Certains prêtent ce pseudonyme à... Frédéric Dard (!), lequel ne l'a jamais reconnu, et pour cause ! Le fait que les Éditions Lutecia, qui ont publié 7 des 8 "Georges Brass" entre 1952 et 1955, avaient leur siège social à Lyon y est probablement pour quelque chose...
(12) Le premier "Georges Brass", en 1951, et le seul à n'être pas sorti chez Lutecia mais aux Édition B.N. à Paris.
(13) La vie voluptueuse de Don Juan, Éditions de la Pensée Moderne, 1954, repris par J.C. Lattes/Édition Spéciale en 1973 sous le même titre mais sous le nom de Roger Fairelle.
(14) Don Juan, CVS, Madrid, 1975.
(15) Aucune trace de cette traduction dans les catalogues de la Bibliothèque Nationale Allemande...
(16) En fait, un dernier roman signé B. R. Bruss (mais qui ressemble fortement à un "Roger Blondel" publié sous un nom plus connu des amateurs de fantastique), Les espaces enchevêtrés paraitra en 1979 aux Éditions NéO, dans la collection "Fantastique/Science Fiction/Aventures".


Une interview télévisée de ROGER BLONDEL réalisée par Bernard Pivot en 1978, est disponible sur le site de l'INA ici :

http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/CPB7805327003/roger-blondel-le-depetrificateur.fr.html

RDN

JIMMY GUIEU DANS LA REVUE DE SF «GALAXIE» (1956-1959)

Cliquer sur les images pour les agrandir.

À partir de la fin de 1953, deux revues de Science Fiction se partagent le modeste marché français, Fiction et Galaxie. Il faudra attendre la fin de la décennie pour en voir apparaître une troisième, Satellite, qui viendra prendre la place laissée vacante par la disparition de Galaxie. Fiction, publiée par les Éditions OPTA, était l’édition française de la revue américaine The Magazine of Fantasy & Science Fiction (F&SF) et Galaxie, publiée par les Éditions Nuit et Jour, celle de sa concurrente Galaxy. Mais si aux Etats-Unis, les deux revues-mères étaient réputées pour leur qualité, il n’en était pas de même en France.

En effet, si Fiction était un reflet fidèle et soigné de son édition-mère, il n’en était pas de même pour Galaxie, dont la qualité de l’impression et des traductions (souvent coupées) laissait vraiment à désirer. Maltraiter ainsi les plus grands auteurs américains du genre, Isaac Asimov, Robert Sheckley, Philip K. Dick et tant d’autres, n’a semble-t-il jamais gêné la rédaction… Il faudra attendre les années 1960 et la deuxième incarnation française de Galaxy pour que justice leur soit enfin rendue.

Quant aux auteurs français, on peut résumer ainsi la situation : les « littéraires » étaient dans Fiction et les autres dans Galaxie. Le temps s’est chargé de confirmer la chose car, si on peut encore lire assez régulièrement des nouvelles françaises parues originellement dans Fiction, qui se souvient de celles publiées par le premier Galaxie ?

Le numéro 30 avec au sommaire "La fin des Hommes",
première nouvelle publiée par Jimmy Guieu


Les trois nouvelles de Jimmy Guieu n’ont pas échappé à la règle. La meilleure du lot, « La fin des Hommes » n’est au plus qu’une amusante plaisanterie sur la disparition de l’élément masculin de l’espèce humaine dans le futur. « Vacances spatiales », la pire, raconte comment des ados en vacances sur la lune découvrent tous seuls l’origine d’un trafic que la police avait été incapable de localiser durant des années… Entre les deux tente de surnager « L’effroyable poisson d’avril », la seule des trois histoires à tourner autour des Soucoupes Volantes mais qui après un début un peu prometteur ne tarde pas à partir en quenouille…


Première page de "La fin des Hommes"

À plusieurs reprises, j’ai entendu Jimmy Guieu dire qu’il n’écrivait pas de nouvelles car cela ne « payait » pas. Mais je crois que, si cet aspect financier est sans aucun doute à prendre en compte, la raison principale est que le récit court ne lui convenait pas et qu’il s’en était rendu compte suite à l’expérience dans Galaxie. Toujours est-il que ce furent-là ses uniques nouvelles de SF jamais publiées.

Ce qui n’empêcha pas pour autant Jimmy Guieu d’avoir un statut à part dans Galaxie.

En effet, outre les trois récits qui viennent d’être évoqués et le fait que deux de ses nouvelles aient eu les honneurs de la couverture, il publia chroniques et critiques de livres à partir de mai 1956 dans tous les numéros de la revue, sauf le 55, jusqu’à la cessation de parution de celle-ci en avril 1959. Ceci en fait un collaborateur unique en son genre. En y regardant de près, d'ailleurs, on s’aperçoit qu’il devait exister des liens privilégiés entre la rédaction et lui.

Ainsi, lorsque paraît dans le numéro 30 de mai 1956 la nouvelle « La fin des Hommes », celle-ci est précédée (voir image) d’une courte mais élogieuse présentation de l’auteur, fait unique dans la revue. Ensuite, dès le numéro 31, Jimmy Guieu réapparait dans le sommaire avec un article intitulé « L’invasion de la Terre » (notons au passage que ce titre reprend celui d’un de ses premiers romans au Fleuve Noir « Anticipation ») qui va servir d’amorce à la série, « Les soucoupes volantes ». Débutant dans le numéro suivant, cette chronique mensuelle durera jusqu’au numéro 54 de mai 1958.


in numéro 31, juin 1956 (cliquer sur l'image)


Elle sera alors remplacée à partir du numéro 56 de juillet 1958 par « La rubrique de l’Étrange », un peu moins régulière (absente des numéros 57 et 59) et abordant d’autres sujets mystérieux. Ces deux rubriques successives occuperont en général à chaque livraison 3 pages de la revue. Parallèlement, à partir du numéro 57 d'août 1958, Jimmy Guieu assurera en alternance avec Maurice-Bernard Endrèbe la rubrique critique « Livres d’aujourd’hui et de demain », ceci sous le nom de Claude Vauzières. Ce pseudonyme sera repris dans les années 1960, mais sans le « s » final, pour signer trois romans de SF et un d’aventures dans la célébre collection pour adolescents « Marabout Junior ».


Dans « L’invasion de la Terre », Jimmy Guieu définit ce que sera « Les soucoupes volantes », à savoir un lieu d’échange d’informations avec les lecteurs de Galaxie qui s’intéressent aux OVNI., tout comme il le fait déjà à cette époque avec les auditeurs de ses émissions sur Radio Monte Carlo. Plus tard, quand viendra le temps de « La rubrique de l’Étrange », le concept se transformera, laissant place plutôt à de courts articles, comme celui sur « le cancer du verre » qui est présenté ici. Il faut voir dans ce changement le fait que la série « Les soucoupes volantes » commençait à tourner un peu en rond, faute d’informations réellement nouvelles à proposer chaque mois aux lecteurs.

in numéro 60, novembre 1958 (cliquer sur l'image)

Quant à « Livres d’aujourd’hui et de demain », il est évident que Jimmy Guieu/Claude Vauzières se partageait la tâche avec Maurice-Bernard Endrèbe concernant le choix des titres, se réservant pour lui les essais sur les OVNI et autres livres sur les mystères plus les parutions du Fleuve Noir « Anticipation » dont il était un des piliers. Ce qui amena à l’occasion « Claude Vauzières » à parler d'un roman de Jimmy Guieu… sans en dire ce qu’il en pensait tout en racontant avec un luxe inhabituel de détails le contenu de l’histoire pour allécher le lecteur. Pour preuve de ce petit « tour de passe-passe », on trouvera reproduite ici in extenso la livraison parue dans le numéro 57 d’août 1958 où il est question de Réseau Dinosaure. Cette rubrique est aussi intéressante pour l’avis de Jimmy Guieu sur le classique du Capitaine Ruppelt Face aux Soucoupes Volantes qui venait de paraître en français. Et si on peut s’étonner de la présence d’une critique d’un livre sur les avancées de la chirurgie moderne (Le sommeil dans la lumière du Dr A. Ruellan et de J. V. Kremer), c’est ne pas remarquer que celui-ci est paru au Fleuve Noir et oublier qu’André Ruellan était à l’époque un des meilleurs auteurs de la collection « Angoisse » sous le nom de Kurt Steiner et qu’il s’apprètait à faire quelques apparitions notoires, toujours sous ce nom, dans la collection « Anticipation »…





La première apparition de "Claude Vauzières", in numéro 57, août 1958 (cliquer sur l'image)

Cette collaboration de trois ans avec Galaxie est un épisode finalement peu connu, hors du cercle des spécialistes, de la carrière de Jimmy Guieu. Elle fait de celui-ci, et de loin, le principal auteur de la revue, toutes nationalités confondues, par le nombre de textes publiés. Et ce fut sa seule incursion dans la presse de SF en France.


BIBLOGRAPHIE


NOUVELLES
- « La fin des Hommes », n°30, mai 1956.
- « Vacances spatiales », n°41, avril 1957.
- « L’effroyable poisson d’avril » n 43, juin 1957.




RUBRIQUES
- « L’invasion de la Terre », n°31, juin 1956.
- « Les Soucoupes Volantes », tous les numéros, du n°32, juillet 1956 au n°54, mai 1958.
- « La rubrique de l’Étrange », tous les numéros, sauf le 57, du n°56, juillet 1958, au 65, avril 1959.
- « Livres d’aujourd’hui et de demain »»,
sous le nom de Claude Vauzières, un mois sur deux du n°57, août 1958, au 65, avril 1959.




RICHARD D. NOLANE


(c) RDN 2003

JIMMY GUIEU, CHASSEUR DE MYSTÈRES ET OVNI DE LA SCIENCE FICTION


Merci à Georges Pierquin,
Guy Tarade,
Bernard Thouanel
et à Charles Moreau pour leur aide
.



Né le 19 mars 1926 à Aix en Provence, Jimmy Guieu (de son vrai nom Henri René Guieu) est décédé dans la nuit du 1er au 2 janvier 2000, juste après être entré dans cette année que les auteurs de Science Fiction de sa génération considéraient comme mythique. Depuis des mois il luttait contre un cancer de la prostate auquel s’étaient ajoutés d’autres sérieux problèmes de santé. Avec lui, c’est une des figures les plus marquantes de l’ufologie française qui disparaît. Même s’il était contesté par beaucoup, il était devenu depuis longtemps un personnage impossible à ignorer.

Jimmy Guieu en 1965 (Doc. Marabout)

QUELQUES SOUVENIRS PERSONNELS


J’ai découvert les livres de Jimmy Guieu au Fleuve Noir « Anticipation » en 1969, alors que je vivais à Abidjan, en Côte d’Ivoire, avec, je m’en souviens fort bien, Traquenard sur Kenndor, une aventure de Blade et Baker. Mais le véritable déclic se produisit peu de temps après à la lecture des Sept Sceaux du Cosmos, ma première rencontre avec le personnage-clé de l’œuvre de l'auteur : Gilles Novak. Si on arrivait à faire le compte des lecteurs venus à la Science Fiction et/ou à la littérature de l’Inexpliqué grâce aux romans consacrés à Gilles Novak, je crois qu’on serait vraiment surpris.Six ans plus tard, je fis la connaissance de Jimmy Guieu au cours du Festival de Science Fiction de Salon de Provence 1975. Un grand cru que ce festival puisque Jacques Bergier et Georges H. Gallet, peu habitués à ce genre de déplacement, étaient aussi de la partie. Ce fut le début d’une très amicale relation, facilitée par le fait que nous habitions tous deux Aix en Provence.



Jimmy Guieu au 4eme Festival International de SF de Fayence, Var, en 1988. (Photo Guy Tarade)


Durant 25 ans nous nous sommes vus et téléphoné assez régulièrement et même si j’étais loin de partager ses vues développées après 1987 sur les « Gris », ce sujet n’a jamais été source de discorde entre nous. Mieux, ce fut lui qui me mit en contact avec les Presses de la Cité poche en 1980 alors que débutait la réédition complète de ses livres dans la collection « SF JIMMY GUIEU ». Il s’ensuivit que nous avons travaillé pour les mêmes éditeurs pendant plus de 15 ans, bénéficiant tous les deux des conseils éclairés, de la gentillesse, de la patience et du professionnalisme de Bianca von Heiroth et de Véronique Kerbrat. La boucle fut bouclée, comme on dit, lorsque nous nous sommes retrouvés à publier tous les deux dans la même collection consacrée à l’Inexpliqué, « Les Dossiers Vaugirard », laquelle ne survécut pas à une des enièmes restructurations du Groupe de la Cité en 1995.
J’ai vu Jimmy Guieu pour la dernière fois au début de l’été 1998, lors d’un de mes déplacements sur Paris, le temps de déguster un excellent repas chinois dans un de ses restaurants favoris du XIIIeme Arrondissement. Et lorsque je lui ai annoncé mon départ pour le Canada, pays qu’il connaissait bien pour y avoir longtemps séjourné dans les années 70 et 80, il fut probablement un de ceux qui furent les plus heureux pour moi. Bref, on l’aura compris, même si je ne faisais pas partie du cercle de ses intimes, nous étions proches et sa mort, qui se profilait déjà malheureusement à l’horizon au vu des nouvelles alarmantes de son état de santé, m’a profondément touché.


JIMMY GUIEU ET LA SCIENCE FICTION

Jimmy Guieu était un personnage à part aussi bien dans la Science Fiction que dans le domaine de l’Inexpliqué.


Editions Fleuve Noir, 1951. Couverture de Brantonne.

Pour ce qui est de la SF, où il avait fait ses débuts en 1951 avec Le pionnier de l'atome dans la toute nouvelle collection «Anticipation » du Fleuve Noir, il n’a jamais fait de mystère qu’il n’en lisait pratiquement pas. Ses contacts avec le milieu étaient quasi-inexistants, sauf avec des gens, comme moi, qui s’intéressaient aussi aux mystères de ce monde et aux OVNI. Pour lui, la SF était « un prétexte, un faire-valoir, le sucre qui fait passer la pilule. » Depuis le début de sa carrière, il était convaincu que ses idées de romans lui étaient plus ou moins « soufflées » d’ailleurs et que l’imagination n’expliquait pas tout. C’est ce que disait, au passage, Morgan Robertson, l’écrivain américain qui avait « prévu » le naufrage du Titanic en 1898 dans un court roman, Futility, or the wreck of the Titan.


Grand Prix du Roman de Science-Fiction 1954, Editions Fleuve Noir, 1954. Couverture de Brantonne.

Ce que voulait dire Jimmy Guieu c’était que pour lui ses romans servaient avant tout à faire passer dans un large public ses idées sur les OVNI et autres thèmes mystérieux. Il suffit d’ailleurs de les lire dans leur ordre de parution pour voir que, très vite, ses livres cessent d’être de simples récits d’aventure pour intégrer ces préoccupations dès l’apparition du personnage de Jean Kariven en 1953. Il lui faudra attendre 1967 pour trouver enfin le personnage capable de catalyser ses aspirations en la personne de Gilles Novak, brillant et aventureux journaliste responsable d’une revue consacrée au paranormal. Gilles Novak, qui apparaît dans Le Retour des Dieux (1967), est une projection de Jimmy Guieu, c’est évident. Gilles Novak vit la vie trépidante et marquée par le mystère qu’il aurait souhaiter vivre. Ils sont tous les deux passionnés d’OVNI, de tradition templière et de Kabbale. Les liens tissés entre la réalité et la fiction sont encore resserrés par la présence dans les romans d’une foule de personnages bien vivants dont certains reviennent régulièrement : les compagnons de Gilles Novak sont les amis en chair et en os de l'auteur. J’ai moi-même bien connu, pour prendre un exemple, le géomancien Alain Le Kern qui apparaît dans de nombreux romans.

Editions Fleuve Noir, 1967
Très vite, les aventures « inspirées » de Gilles Novak vont devenir le fer de lance de Jimmy Guieu, son image de marque. Elles fonctionnent en jouant à fond sur le besoin de merveilleux du lecteur et la sensation que ce merveilleux peut surgir à la moindre occasion devant lui (ce qui se révèle vrai dès qu’on se penche avec attention sur les phénomènes un peu trop rapidement catalogués « surnaturels »). Cette irruption est facilitée, si on peut dire, par la culture de l’auteur émaillant son texte de notes de bas de pages connues pour leur désormais célèbre mention « authentique », par sa faconde méridionale, par une certaine naïveté sympathique et par un manichéisme absolu.


Editions Fleuve Noir, 1962. Un roman moins "SF" que les autres sera l'occasion de l'unique incursion de Jimmy Guieu dans la collection "Angoisse", sous une belle couverture de Gourdon.

Dans une interview donnée en 1991 pour la petite revue de SF Planète à Vendre, Jimmy Guieu avait dit à ce propos :
«…, une amie éditrice m’a demandé pourquoi mes bouquins ont du succès ? Ils sont ringards ! Mais on ne les publie pas pour ma belle gueule, le public y trouve son compte. Pourquoi ? Parce que je m’efforce de faire ce que les autres ne font pas. D’abord, c’est pétri d’ésotérisme. Il y a toujours derrière une notion de justice expéditive. Les méchants, tôt ou tard, en prennent ‘plein la gueule’. Ce type d’histoire me plaît. Du manichéisme ? Tout à fait. Mais il n’y a que ça de vrai ! Les gens ne sont pas réalistes. Le monde souffre d’injustice. On aimerait bien voir tous les violeurs, les assassins, les sadiques, toute cette racaille véritablement jugée et pendue ! Mais la société est conditionnée, corrompue. On donne au peuple du pain et des jeux, et ce sera la chute de l’Occident. Alors on s’étonne que mes bouquins plaisent à des gens, mais ils plaisent aux braves gens, qui sont heureusement plus nombreux que les autres. Je revendique leur manichéisme, car nous vivons tous les jours dans le manichéisme ! »
Le côté justicier de Gilles Novak s’amplifiera encore après son intégration au sein des « Chevaliers de Lumière », qui deviendra une série à part entière en 1986 au Fleuve Noir après la parution d'un dernier volume dans la collection "Anticipation", Les Fils du Serpent.

Editions Fleuve Noir, 1984

Jimmy était un anti-communiste forcené et un homme très à droite, il était le premier à le dire. Mais, à côté de cela, sa passion pour l’ésotérisme (et son appartenance à la Franc-Maçonnerie) en avait fait quelqu’un qui croyait sincèrement à l’égalité de tous les êtres humains sans distinction de race, la distinction se faisant plutôt au niveau des « bons » et des « mauvais esprits. ». C'est particulièrement évident dans son roman le plus "initiatique", L'Ordre Vert.

Editions Fleuve Noir, 1969. Jusqu'à sa réédition en 1978, toujours au Fleuve Noir, ce fut le roman de l'auteur le plus recherché par les lecteurs, sans doute parce qu'il touchait par son thème un public plus large que les autres.
Ceci sans compter sa promotion régulière dans ses histoires pour des doctrines comme le naturisme et l’amour libre qui ne sont pas exactement des valeurs défendues par l’extrême-droite…
L’autre série vedette de Jimmy, les aventures de Blade et Baker, relève elle essentiellement de l’aventure spatiale débridée. A mon avis, elle sera vite oubliée dès que l’équipe d’auteurs qui l’a reprise « en collaboration » au début des années 90 cessera de l’écrire. Le dernier grand succès de Jimmy en matière de fiction furent les 2 volumes de la série « EBE », des « romans vérité » conspirationnistes sur la présence effective des Gris sur Terre suivis par d’abondantes annexes factuelles malheureusement pas toujours très crédibles. Le premier volume aurait vendu en tout 40.000 exemplaires, ce qui constitue un succès de taille dans le monde de la SF française.



Éditions Vaugirard, 1991



LE CHASSEUR DE MYSTERES



A côté de ce flot de romans de SF frisant la centaine de titres (je ne prends pas en compte les «collaborations» évoquées un peu plus haut) la production de Jimmy Guieu en temps qu’auteur d’essais sur l’Inexpliqué paraît bien réduite.

Editions Fleuve Noir, 1954, Couverture de Brantonne.


Pourtant en publiant Les Soucoupes Volantes viennent d’un autre Monde (1954) puis Black Out sur les Soucoupes Volantes (1956), il avait acquis une notoriété méritée de pionnier de l’ufologie en France, aux côtés d’un Aimé Michel et d’un Charles Garreau. Mais, curieusement, Jimmy Guieu ne transforma jamais ce coup d’essai et manqua complètement le développement fulgurant du marché des livres sur l’Inexpliqué à la fin des années 60.

Editions Fleuve Noir, 1956. Couverture de Brantonne


Car, soyons honnête, il est un des grands absents de ce boom au cours duquel le moindre titre publié dans une collection comme « Les Enigmes de l’Univers » par un inconnu grimpait vite à plus de 50.000 ex. de vente (aujourd’hui, dépasser 3.000 en grand format est un succès…). Au lieu de cela, il fait rééditer au début des années 70 ses deux livres sur les OVNI, devenus mythiques, par un éditeur fantôme, L‘Omnium Littéraire, qui les gratifie d’une présentation hideuse et d’une distribution inexistante. Pire, il confie toujours au même éditeur un inédit, Le Livre du Paranormal, qui recevra le même traitement que les deux précédents et qui devra attendre 20 ans pour trouver enfin son public chez Vaugirard. A la seule différence que n’importe quel éditeur consistant des années 70 en aurait vendu dix fois plus… En fait, Jimmy Guieu ne retrouve les chemins de l’édition spécialisée qu’à la fin des années 70, alors que le renversement de tendance est déjà palpable, mais comme directeur de la collection « Les Carrefours de l’Etrange » (nom de son émission radio) aux éditions du Rocher.

Editions du Rocher, 1980.

C’est dans cette collection qu’il publiera sa couverture de l’affaire de Cergy-Pontoise. Le livre sera un succès et sera repris chez France Loisirs mais Jimmy se verra toujours par la suite reproché d’avoir accordé sa confiance à une histoire qui s’est avérée n’être qu’un coup monté. Personnellement, je n’ai jamais cru qu’il ait été de mèche avec Frank Fontaine et compagnie comme certains l’ont dit. Je ne vois là que la manifestation de la trop grande confiance que Jimmy Guieu accordait à des gens qui lui apparaissaient sympathiques. Après un différent avec l’éditeur, Jimmy abandonnera la direction de la collection en 1982.
Quelques années plus tard, en 1986, il publie son dernier livre important sur les OVNI, cette fois chez Belfond, Le Monde Etrange des Contactés dont une version révisée dans l’optique conspirationniste sortira dix ans plus tard aux Presses de la Cité sous le titre malheureux de Nos Maîtres les Extraterrestres (ce qui ne l’empêchera pas d’être reprise très vite en club chez France Loisirs).



Editions Vaugirard, 1992. Un "Gilles Novak à l'ancienne" adapté d'un projet de scénario datant d'avant la création de la série des "Chevaliers de Lumière"


Si Jimmy Guieu n’écrit plus aucun roman dans les années 90 après les « EBE » (Magie Rouge, un "Gilles Novak" était tiré d'un projet de scénario pour la télévision, Psyboy et Un Terrestre Extra étaient, eux, rédigés depuis longtemps), il retrouve une direction de collection spécialisée aux Presses de la Cité, avec « Les Dossiers de l’Etrange ». Avant que des problèmes relationnels avec l’éditeur ne mettent fin à l’aventure, cette collection publiera des ouvrages de David Jacob, Timothy Good, etc. ce qui en fait une des plus intéressantes du genre. A noter que le livre de John Mack, publié peu après par les Presses de la Cité fut aussi choisi par lui.

Le livre le plus rare de Jimmy Guieu. Tiré à environ 1000 ex., il n'a jamais été réellement distribué en librairie



Un certain nombre de livres de Jimmy Guieu ont été traduits en anglais, en espagnol, en grec, en allemand, en hollandais, en portugais (Portugal et Brésil),en roumain et en italien et plusieurs ont été adaptés en BD dans la défunte collection « Sidéral ». La principale de ces traductions étant évidemment The Flying Saucers Comes from Another World parue en 1956 en Angleterre.
Parallèlement, Jimmy investit beaucoup de son énergie dans la réalisation de la série de vidéo-cassettes « Les Portes du Futur » consacrées aux OVNI mais aussi à d’autres mystères comme celui de Rennes-le-Château, Théopolis, les Vortex temporels, etc. Si elles avaient bénéficié d’une meilleure distribution, ces cassettes auraient connu à mon sens un bon succès public alors que le créneau était peu exploité en France. Jusqu’à ce que la maladie ait raison de lui, Jimmy tentera toujours, en vain, de trouver un producteur sérieux pour poursuivre la série. Récemment, les droits de la série ont été acquis par lOeil du Sphinx qui a déjà réédité en un seul DVD les 2 cassettes sur Rennes-le-Chateau.


"Les Portes du Futur" n°4. Vidéocassette, Dimension 7

En fond de ces activités littéraires, éditoriales et autres, Jimmy a poursuivi pendant presque un demi-siècle une carrière de conférencier professionnel bien remplie, y compris au niveau international. Il a tenu longtemps une rubrique sur les OVNI dans le quotidien Le Meridional au cours des années 50. Il a été le producteur de plusieurs émissions radio sur l’Inexpliqué sur Radio Monte Carlo et FR3 et on a pu le voir régulièrement ces dernières années invités à la télévision dans des programmes populaires malheureusement pas toujours du meilleur niveau.

LES «AUTRES» JIMMY GUIEU


Enfin, outre 3 romans de SF pour la jeunesse parus dans l’excellente collection « Marabout Junior » sous nom de Claude Vauzière et repris, révisés, dans la collection « SF JIMMY GUIEU », Jimmy a fait des incursions dans d’autres genres littéraires : 2 romans policiers guère mémorables sous le pseudonyme de Claude Rostaing en 1952 et 1954, 16 romans d’espionnage en collaboration avec Georges Perquin, sous le nom transparent de Jimmy G. Quint entre 1960 et 1967 (les cinq premiers au Fleuve Noir et les onze suivants aux Presses Noires) et un quatrième « Claude Vauzière » chez Marabout, L’Héritage des Templiers (1965).
Les romans signés Jimmy G. Quint étaient rédigés par Georges Pierquin, Jimmy se concentrant sur le rôle de scénariste et de documentaliste, ainsi que l'a confirmé Georges Pierquin, en ajoutant que la part de Jimmy s’était encore rétrécie dans les derniers volumes.


Georges Pierquin et Jimmy Guieu vers 1966 (Photo G. Pierquin)


Quant à L’Héritage des Templiers, il s’agit d’une histoire d’aventure, d’une chasse au trésor dans le centre de la France, avec des héros rappelant par certains traits ceux des séries vedettes de la collection « Marabout Junior », qu’étaient Bob Morane ou Nick Jordan.


Editions Marabout, Belgique, 1965


Ces 20 livres, tous parus entre 1960 et 1967, montrent une tentative de Jimmy de sortir de la collection « Anticipation » du Fleuve Noir. Georges Pierquin m’a expliqué que l’aspect financier n’avait pas été étranger à l’incursion dans la collection « Espionnage » du Fleuve Noir qui vendait bien plus que « Anticipation ». Mais lorsqu’il avait fallu faire de la place pour intégrer l’écurie d’auteurs des Presses de la Cité, qui avaient racheté le Fleuve Noir, « Jimmy G. Quint », avait fait partie du lot d'écrivains qui avait été remercié. D’où le départ vers Les Presses Noires.


Editions Fleuve Noir, 1962

Jimmy Guieu ne publiera d’ailleurs plus rien au Fleuve Noir entre début 1964 (Les Portes de Thulé) et fin 1967 lorsque Armand de Caro, le directeur de la maison réussit à le décider à revenir à la SF. C’est à cette occasion qu'il créera Gilles Novak dans Le Retour des Dieux. Donc, si on omet les scénarii pour les romans signés Jimmy G. Quint pour les Presses Noires, la carrière littéraire de Jimmy Guieu connaît un trou de presque quatre ans. Au cours de cette période, il s’essaiera à l’organisation de spectacles, tentative qui se terminera par de sérieux déboires financiers suite à un concert des Rolling Stones ayant tourné à la démolition d'une salle à Marseille…


J. Guieu en compagnie de G. Pierquin et d'Adamo à Marseille dans les années 60 (Photo G. Pierquin).

Enfin, car il faut bien en parler, il y a eu six romans érotiques sous le pseudonyme de Dominique Verseau, édités et/ou réédités dans les diverses incarnations de la collection « Les Erotiques de Gérard de Villiers». Concernant ces derniers livres, Jimmy Guieu était passé de la reconnaissance de leur paternité à l’affirmation qu’il n’était que « l’agent » de D. Verseau. Mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu’il en était l’auteur et puis, de toute façon, ayant eu deux manuscrits entre les mains, je peux témoigner que c’était bien le cas… Tous les écrivains à plein temps savent qu’il faut quelquefois se plier à des travaux peu avouables pour faire bouillir la marmite... Pour la petite histoire, les deux premiers "Dominique Verseau" ont été traduits aux USA.

Le deuxième "Dominique Verseau"


INEDITS ET PROJETS


Jimmy Guieu laisse un manuscrit terminé mais nécessitant une sérieuse réorganisation interne, provisoirement intitulé Terre, ta civilisation fout le camp. Je l’avais lu et nous avions discuté de diverses choses à son sujet (notamment un changement de titre…) à l’automne 1998 alors que j’avais cru pouvoir lui trouver un éditeur. C’est un livre à nouveau très influencé par les thèses conspirationnistes et la mainmise présumée des « Gris » et de leurs agents humains sur la planète.
En outre, Jimmy Guieu avait aussi légèrement révisé les deux volumes de la série « EBE » dont il avait récupéré les droits et qui ont été réédités en 2001. Il avait aussi en tête une idée de série de SF dont il pensait écrire le premier tome avant de la « sous-traiter » comme les Blade et Baker et qui avait pour titre de travail «Commando Espace-Temps». Deux romans inédits ont été de plus retrouvés dans ses archives : À la poursuite de l'antigravitation (suite de L'héritage des Templiers) et Psycho-évolution Rh, respectivement parus et à paraître chez Rivière Blanche.



L’HERITAGE

Reste maintenant la question de savoir l’héritage que laisse Jimmy Guieu.
Du point de vue strictement SF, il restera sous les traits d’un auteur atypique, représentant de la SF populaire à la française telle qu’on la trouvait dans les années 50 et 60.

La seule parodie de l'oeuvre de Jimmy Guieu, publiée chez un éditeur amateur en 1985 par Roland C. Wagner, une des futures vedettes de la SF francaise actuelle... A l'époque Jimmy Guieu avait très mal pris la chose car ce livre signé "Gimme Dieu" n'y allait pas de main-morte avec la série des Gilles Novak...

Mais alors que la totalité de ses confrères ne sont plus connus désormais que par les collectionneurs et les spécialistes, lui a réussi, du fait de sa thématique « ufologico-ésotérique » qui lui a amené un public extérieur, non seulement a survivre à l’usure du temps mais encore à être probablement à l’aube de l’an 2000 l’écrivain de SF français le plus vendu dans son pays… De plus, il est le seul à avoir vu son nom « sous-traité » par d’autres auteurs et devenir ainsi une sorte de marque commerciale. Que cela plaise ou non, cela s’appelle un succès…

Editions Fleuve Noir, 1996. Une incursion dans la littérature pour adolescents qui se révèlera décevante d'un point de vue commercial en dépit d'une belle couverture... Le grand format et un prix trop élevé pour le public visé y sont sans doute pour quelque chose.

Si on passe à l’ufologie et à l’Inexpliqué en général, le bilan est un peu plus mitigé. Le rôle de pionnier actif de l’ufologie, notamment au sein de la Commission Ouranos, lui est définitivement acquis et ses deux ouvrages des années 50 resteront dans l’histoire. Mais en manquant le train des années 70, comme on l’a vu, alors qu’il avait autant et sinon plus de choses à raconter que bien des auteurs publiés alors, il a perdu de son importance dans le milieu. Etre un conférencier efficace et demandé n’a pas le même impact que de publier des ouvrages qui restent et sont susceptibles d’être réédités. Les anglo-saxons, connus pour leur pragmatisme, appellent ça «publish or perish» (publier ou mourir)…



Jimmy Guieu et Guy Tarade lors d'une réunion de l'IMSA au début des années 1990(Photo Guy Tarade).


D’autre part, l’adhésion immédiate de Jimmy Guieu aux thèses conspirationnistes de John Lear, comme s’il était soudain soulagé d’avoir trouvé une réponse au mystère posé par la raison de la présence des insaisissables OVNI, l’a fait basculer dans l’extrémisme ufologique, avec pour conséquence de le marginaliser. Après l’épisode rocambolesque de Cergy-Pontoise, c’était là une dérive qu’il aurait du éviter.
Les mauvaises langues diront que le visionnaire des années 50 était devenu victime d’un aveuglement entretenu par des gens en qui il avait placé bien trop de confiance. Mais est-ce pire que ces prétendus ufologues qui, faute d’avoir trouvé eux aussi une réponse ont préféré laisser de côté toute honnêteté intellectuelle et passer à l’ennemi en proclamant que les OVNI n’existaient finalement pas ?
Pour moi, l’erreur de Jimmy Guieu n’a pas été de se tromper sur le fond du problème, qu’il connaissait bien, mais sur le dosage de l’ingrédient « conspiration ». Là où il existe une volonté farouche des gouvernements à cacher au moins leur ignorance (récupérer un OVNI à Roswell ne signifie pas avoir encore compris ne serait-ce que comment en faire fonctionner l’allume-cigare…), il a cru voir un plan diabolique pour dissimuler depuis cinquante ans une invasion en règle dans le plus pur style de la SF populaire.
S’il faut se poser de sérieuses questions sur les enlèvements d’humains ou sur les mutilations de bétail, on n’est pas pour autant obligé d’imaginer l’existence de bases secrètes grouillantes d’Aliens de mèche avec le gouvernement américain et dont la présence aurait bien fini par transpirer au bout de plusieurs décennies.
Mais laissons-là ces querelles. L’important désormais c’est qu’un homme qui a beaucoup compté pour tant de gens a disparu dans un ailleurs dont il ne reviendra malheureusement pas. La seule chose qui peut nous consoler de cette disparition est que là où il est, Jimmy Guieu a peut-être enfin trouvé les réponses qu’il cherchait depuis si longtemps…

RICHARD D. NOLANE

© 2002 (et 2009 pour la version légèrement révisée) by Richard D. Nolane

JACQUES BLOIS : L'ÉCRITURE PAR PLAISIR (INTERVEW)

Jacques Blois vers 2001 (photo de l'auteur)

De son vrai nom Jacques Faucher, Jacques Blois est né le 26 mars 1922. En 1966, alors qu'il est cadre supérieur à Paris pour une célèbre chaîne de grands magasins, il entre au Fleuve Noir et devient un des auteurs les plus productifs de la collection «L'Aventurier» à l'époque où celle-ci cherche du sang neuf et qui verra arriver aussi Piet Legay, Victor Harter puis Jean Detis et Roger Maury. Puis il se tourne vers le roman policier pour «Spécial Police». Entre 1973 et 1975, il signe huit romans d'espionnage, toujours au Fleuve Noir, dans la collection «Espiomatic» mettant en scène Le Conch. Il quitte le Fleuve Noir et l'écriture en 1983 puis prend sa retraite dans la campagne près d'une superbe petite ville du Var, Fayence, où il va vivre jusqu'à son décès en mai 2010, après plusieurs années d'une existence de reclus due à des problèmes de santé...

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INTERVIEW

(réalisée en 2006 et merci à Claude Durand pour son aide technique !)

RDN : Tu as commencé à écrire a plus de 40 ans pour le Fleuve Noir. À moins que « Jacques Blois » ne soit pas le seul pseudonyme de Jacques Faucher ? Quel a été ton parcours ?

JB : J’ai commencé à écrire à 40 ans passés. J'étais cadre dans le grand commerce. C'était une situation astreignante et j’ai écris pour me distraire et m’évader, sans penser une seconde que je pourrais être édité un jour. Parmi les amis de tous âges ayant lu mes deux premiers manuscrits- l’un au soleil en Sardaigne- l’autre sous la pluie en Hollande- un s’est permis, sans m’en parler, de les confier aux Presses de la Cité qui les a transmis au Fleuve Noir. François Richard m’a convoqué me demandant si j’étais capable d’en écrire un troisième. Il l’a eu 3 semaines après. C'est comme ça que «Jacques Blois» a fait son entrée au FN dans la collection « Aventurier»...

RDN : Donc, tu t'es retrouvé à écrire pour « L’Aventurier » en 1966 avec Deux tigresses pour un moteur. Cette collection était pourtant assez fermée, avec peu d’auteurs, non ? Est-ce parce que tu avais envoyé un manuscrit déjà spécialement écrit pour elle ou sur une suggestion de François Richard, le directeur littéraire du Fleuve Noir, suite à l’envoi d’un roman policier, par exemple ?

JB : Sur l’avis de François Richard, je suis entré dans la collection «L'Aventurier» parce que mon héros était double, des jumeaux. L’un mettait de l’ordre et l’autre créerait une pagaille enrichissante ! Ces jumeaux AMI et JOI d’Iseran ont été les héros de tous mes romans édités dans la collection «L'Aventurier».

RDN : Immédiatement, tu te retrouves à faire cina « L’Aventurier » par an. Ce n’était pas difficile à assurer en plus de ton travail « dans le civil » ?

JB : J'écrivais d’un seul jet- J’ai toujours écris à la main très vite sans rature et ce pendant mes week-ends libres, mon épouse se chargeant de les taper à la machine et de corriger les fautes d’orthographe. Simenon disait écrire un polar en huit jours. Mon record personnel est de neuf jours.

RDN : JOI, le héros de ta série dans « L’Aventurier », appartient au monde des courses de chevaux. Est-ce la transposition d’un intérêt personnel pour ce milieu ?

JB : J’ai toujours adoré l’équitation que je l’ai beaucoup pratiqué. Ayant vécu dans le milieu hippique, cela m’a bien aidé et le premier intérêt que j’y ai trouvé fut le plaisir et le divertissement.


RDN : À partir de 1969, tu commences aussi à publier dans « Spécial Police » avec Panique en sous-bois. Est-ce par volonté de te « changer les idées » ou parce que tu sentais que la collection « L’Aventurier » commençait à battre de l’aile ? Ou encore parce que « Spécial Police » payait mieux ? Quelle était la différence de tirage entre les deux collections ?

JB : Parce que j’en avais envie, tout simplement ! J’ai toujours ignoré les différences de tirage qui m’importaient peu ! Mon intérêt était mon plaisir personnel, mon évasion, mon divertissement et ma récréation...



RDN : En 1973, Patrick Siry te propose d’avoir ta série bien à toi,Le Conch. C’est la période où le Fleuve Noir décide de lancer de nouveaux produits éditoriaux comme les Vic St Val. Tu peux nous raconter l’aventure du Conch qui durera huit romans, de fin 1973 à début 1975 ? Quel était le principe de la série ? Et le « Conch », ça veut dire quoi, au fait ?

JB : Ce n’est pas Patrick Siry qui m’a proposé le Conch, c’est moi qui le lui ai proposé. Conch est un surnom donné en Amérique aux natifs des Iles Lucayes. La série était basé sur un principe d’espionnage : notre Conch après avoir roulé la CIA et avoir été licencié par celle-ci est engagé par la DIA, un service secret de l’armée américaine, comme «dépanneur» en tous genres et toutes méthodes. J’ai découvert le mot Conch , sa signification et son sens dans un livre d’Hemingway. J’ai été frappé par la brièveté et la musicalité du terme. Pour moi c’était un cri, un appel, un coup de gong. A la même époque j’ai lu l’histoire d’un agent de la CIA qui trafiquait dans tous les domaines au Vietnam avec l’argent de la société. Fortune faite, il s’était laissé licencier, sachant que la CIA hésiterait devant le ridicule d’un procès. Pour moi, c’était le Conch que j’ai installé aux Keys, paradis grand ouvert sur le trafic avec Cuba. C’est lorsqu’il sera récupéré par la DIA, service secret des trois armes américaines et ennemie jurée de la CIA. La série a démarré très fort : le tirage qui m’est alors annoncé est de 150 000 exemplaires ! Après avoir signé un contrat spécial, j’honore celui-ci lorsque, après le 8ème roman, le FN me demande brutalement de baisser mon pourcentage ! Je leur ai demandé s’ils souhaitaient faire des économies et sur leur réponse positive j’ai tout simplement stoppé le Conch laissant la voie libre à Vic Saint Val. Vingt ans après, j’ai appris le lien existant entre Vic Saint Val et Frédéric Dard/San Antonio (1), ce qui m’a mis en tête mille suppositions que je préfère garder pour moi... L’arrêt des aventures du Conch a entraîné pour moi une avalanche de lettres de lecteurs déçus de sa disparition. Qu’il repose en paix...

RDN : Après la fin du Conch, il y a un trou de presque 3 ans avant ta réapparition au Fleuve, dans « Spécial Police ». Il a été du à quoi, ce silence ?

JB : Ce silence est du à un grave accident de voiture.

RDN : Après ton « retour », tu publies 3 romans en 1978, aucun en 1979, 3 en 1980, 1 en 1981, 1 en 1982 et un dernier en 1983. Que s’est-il passé ?


JB : Après mon retour, j’ai publié les romans que tu signales. Puis j’ai pris la retraite de ma profession principale et j’ai découvert d’autres plaisirs : théâtre, émissions de radio enregistrement de livres pour les aveugles, longs voyages avec une fascinante découverte de la Chine et de sa millénaire pensée philosophique. D’autre part, à peu près au même moment, changement de direction à la tête du FN qui recherche des manuscrits à la mode de cette époque c'est-à-dire truffés de tortures intimes, de dissections à la tronçonneuse et d’avalanches d’hémoglobine. Mes manuscrits n’ont plus rien à voir dans ce nouveau climat et deux me seront refusés... De toute façons il était pour moi hors de question de me prêter à ce nouveau jeu et à ce nouveau style.

RDN : Tes romans se caractérisent par un style simple, clair et direct, souvent au présent (sauf pour les Conch) qui les rapproche par exemple de ceux de ton confrère au Fleuve Noir Peter Randa. Faisais-tu un plan détaillé avant de commencer un roman ou bien te laissais-tu guider par l’histoire en sachant seulement comment elle allait se terminer ?

JB : J’ai toujours écris en faisant danser mes mots sans faire aucun plan et ne sachant jamais au début de l’histoire comment elle se terminerait... Je me suis d’ailleurs aperçu au fil de l’écriture qu’il pouvait y avoir pour la même histoire une dizaine de fins différentes. L’intérêt étant au dernier moment de choisir la plus humainement surprenante. Pour moi, l’important est que mon lecteur voit, entende et vive au plus près de mes personnages. Il y a eu le style acrobatique des jumeaux aventuriers d'Iseran pour «L'Aventurier», différent du style adopté pour rendre la morne existence routinière d’un groupe d’individus pris dans la crise d’un «Spécial Police».Pour le Conch, il s’agit du carnet de route d’un dépanneur de l’ombre, d’un service-action solitaire, opérant tous azimuts et sans état d’âme, tendu vers un seul but ; la réussite de sa mission. Ses actions se déroulent dans des pays bien définis, avec leurs problèmes économiques et politiques d’actualité : le livre sur le pétrole Spécial Pétrole Conch est par exemple quasiment prémonitoire... Le Conch m’a demandé de nombreuses recherches pour lesquelles j’ai été aidé de façon formidable par mon épouse. Je peux même ajouter qu’à l’époque, il y avait à Paris deux endroits charmants où il suffisait d’ouvrir grand les oreilles en dégustant un bourbon pour avoir de bonnes informations...

RDN : N’as-tu jamais été tenté d’écrire pour d’autres collections du Fleuve Noir comme « Espionnage », « Angoisse » ou « Anticipation » ?

JB : J’avais écris le Conch au départ pour «Espionnage». Auparavant, sous François Richard, j’avais tenté une première fois ma chance dans cette collection avec un héros nommé Séraphin Béatus et j’avais été alors remercié sèchement sans aucune explication. Après avoir parlé du Conch avec Patrick Siry, et lorsqu’il a lu le premier manuscrit, c’est lui qui a décidé de le placer en alternance avec les Vic St Val en «Espiomatic» . Quant à «Anticipation», je n’ai aucun goût et aucun talent pour le virtuel et les prédictions des siècles futurs... Mon terrain de jeu était le réel humain de l’époque.

RDN : Sur les plus de 50 romans que tu as publié au Fleuve Noir entre 1966 et 1983, quels sont tes préférés et pourquoi ?

JB : Mes préférés : Le radeau des médusés pour «L'Aventurier», Appelez moi : Victoire pour «Spécial Police» et Le Conch au carnaval des Anges pour «Le Conch». C’est ceux avec lesquels je me suis le plus facilement amusé.

RDN : Après 1983, as-tu cessé d’écrire pour de bon ou non ?

JB : J’ai écris pour mon plaisir par-ci, par-là des contes et des nouvelles pour mes amis. Pour un amateur n’ayant aucun intérêt pour la gloire, le tirage, ou l’argent, je pense qu’une cinquantaine de romans est une excellente plaisanterie qui m’a amusé de nombreuses années. Un dernier souvenir : j’ai été prévenu un jour par le FN que mes droits été vendus en Amérique du Sud (Chili ou Argentine) et me suis toujours demandé ce que ces braves gens allaient y comprendre (2)...

RDN : Merci Jacques.


Notes:

(1) Les «Vic Saint Val» étaient écrits par Gilles-Maurice Dumoulin sur des scénarios de Patrice Dard, le fils de Frédéric, qui vient de reprendre sous son nom les aventures de San Antonio. Et, hormis le fait que Frédéric Dard était l'auteur numéro 1 du Fleuve Noir, des liens familiaux unissaient Patrick Siry, Frédéric Dard et Armand de Caro, le fondateur de la maison. Mais, quand on connaît le milieu de l'édition, on peut imaginer sans peine que Jacques Blois a été victime d'une «banale» tentative de renégociation à la baisse de son contrat jugé trop soudain onéreux pour la maison. Après tout c'est pour cette raison que Gérard de Villiers à quitté dans les années 1980 le Groupe de la Cité dont il était pourtant un grand pourvoyeur de fonds...! Quand on vous dit que l'édition, c'est une autre planète...

(2) Je n'ai pu, pour le moment, et après de longues recherches, jamais pu trouvé la trace des ces traductions sud-américaines. Les livres en question ont peut-être été achetés mais jamais publiés. Par contre Jacques Blois a été traduit au moins deux fois en Espagne aux éditions Edisven (1969 et 1970) et une fois en Grèce aux éditions Papyros (vers 1971) .

BIBLIOGRAPHIE

Dans la collection «L'Aventurier», Éditions Fleuve Noir :

- Deux tigresse dans un moteur, #123, 1966.

- Repens-toi, Panthère ! 124, 1967.

- La foire à la ferraille, #126, 1967.

- Retour à l'expéditeur, #129, 1967.

- La marotte de dame Marouatte, #131, 1967.

- Gymnastique suédoise, #132, 1967.

- Cure sans sommeil, #135, 1968.

- Le pool aux oeufs d'or, #137, 1968.


- Le cheval de proie, #139, 1968.

- Poivre, sel et piments, #142, 1968.

- À contre-carats, #145, 1968.

- À tire d'huile,#147, 1969.

- Bal en berne, #150, 1969.

- Voyage sans horizons, #152, 1969.

- Voltige en Haute-Adige, #154, 1969.

- Vampé, le vampire, #159, 1970.



- Le bénitier du diable, #162, 1970.

- Le radeau des médusés, #167, 1970.

- Trident aux dents, #169, 1971.

- Le signe du trèfle, #173, 1971.

- Paradis, part à deux, #177, 1971.

- Pot aux pruneaux, #181, 1972.

- De l'or dans l'aile, #184, 1972.

- À cloche-cheval, #189, 1972.

Dans la collection «Spécial Police», éditions Fleuve Noir :




- Panique en sous-bois, #732, 1969.

- Une bien belle affiche, #779, 1970.

- Qui trop embrase, #817, 1970.

- Le gobe-souris, #866, 1971.

- À brûle-chassis, #899, 1972.



- Blouson à redorer, #924, 1972.

- La mort vient en jouant, #949, 1972.

- Au clair de la mort, #992, 1972.

- Je tue pour toi, #1029, 1973.

- Quand tout s'effiloche, #1046, 1973.



- Escalade pour un voyou, #1078, 1973.

- Trois pieds dans une tombe, #1388, 1978.

- Trop peureux pour être honnête, #1405, 1978.

- Taxi tire-lires, #1432, 1978.

- Le Gros, le Grand et la pagaille, #1544, 1980.

- Appelez-moi Victoire ! #1588, 1980.

- Silence ! On tourne... mal ! #1609, 1980.

- Les mains au feu, #1655, 1981.

- Un Éphémère chez les books, #1694, 1981.

- Trois belles, trois méchants, trois flics, #1799, 1983.

Dans la collection «Espiomatic», éditions Fleuve Noir, série Les aventures du Conch:

- Le Conch frappe les trois coups, #17, 1973.

- Le Conch joue à la balle, #19, 1973.

- Le Conch, 8e Plaie d'Égypte, #21, 1974.

- Tap-Tap Conch,#23, 1974.

- Le Conch ne fait pas de fleur, #25, 1974.

- Spécial pétrole, Conch ! #27, 1974.


- Le Conch au carnaval des anges, #30, 1974.

- Pépites en rafales, #43, 1975.


Richard D. Nolane

© Richard D. Nolane 2006